Ukraine, d’un point de vue de l’anthropologie historique


Johan Leman, 7 mars 2022

Il est parfois intéressant d’adopter une approche historico-anthropologique des conflits dans le monde. Bien sûr, cela ne peut être fait que de manière très schématique et incomplète dans un court blog. Ce que nous pouvons faire, en revanche, c’est esquisser brièvement l’énorme complexité de l’histoire de l’origine d’une région. L’anthropologie historique analyse une région en fonction des longues périodes pendant lesquelles un régime politique dominant s’est appliqué (la “longue durée”) et des conflits les plus traumatisants. Voici en bref un aperçu.

L’Ukraine ou certaines de ses parties ont connu de nombreuses invasions au cours de leur histoire : Mongols, Russes, Polonais, Suédois, Français (Napoléon), Allemands (Hitler),… Cela, comme une observation générale. L’une des fiertés de la relation avec la Russie est que Kiev a été fondée dès le 4e siècle, tandis que Moscou n’a été fondée qu’au 12e siècle et Saint-Pétersbourg au début du 17e siècle. Cela joue dans l’attitude de Poutine aujourd’hui envers Kiev, qu’il veut voir historiquement comme la première grande ville russe.

Qu’il y a eu pendant une période une région occidentale et une région orientale en Ukraine est historiquement et anthropologiquement un fait, le fleuve Dniepr constituant la ligne de démarcation naturelle. L’ouest a été majoritairement grec-catholique. L’Est est russe orthodoxe, mais réparti sur deux patriarcats, l’un lié à Kiev et l’autre à Moscou. Ce qui est important, c’est ce qui s’est passé au XVIIe siècle, lorsque la partie orientale a été russifiée. Au XVIe siècle, la partie occidentale était devenue polonaise, pour être incorporée à l’empire des Habsbourg (centre : Autriche) par après au XVIIIe siècle. À la fin du XVIIIe siècle, la partie orientale, dont Kiev, est totalement prise par la Russie.

En 1922, l’Ukraine, reconnue comme une nation (par Lénine et confirmée plus tard par Staline), fait partie comme une des nations de l’URSS. C’est ce que Poutine appelle une erreur historique de Lénine. Toutefois, Staline, toujours acceptant l’Ukraine comme une nation, a traité l’Ukraine comme un État vassal et l’a exploitée cruellement au maximum, ce qui a conduit en 1929-1931 à l’Holodomor, une famine qui a tué des millions d’Ukrainiens. Peut-être sous l’influence de cette oppression prolongée, de nombreux Ukrainiens ont accueilli les Allemands et le nazisme par après comme des libérateurs en 1941, ce qui leur a valu d’être à nouveau sévèrement punis après la guerre par les soviets. Il est également vrai qu’au cours de la Seconde Guerre mondiale, les Juifs ont été fortement persécutés en Ukraine, comme d’ailleurs aussi dans d’autres pays de l’Europe de l’Est. En 1953, Staline est mort. L’URSS a compensé ces souffrances qui avaient duré& des années, en donnant la Crimée à l’Ukraine en 1954.

En 1991, l’Ukraine est devenue indépendante, et à un moment donné, Poutine et son “cercle restreint” autour de lui ont apparemment décidé de reprendre d’abord la Crimée… et maintenant, il faut voir ce que lui-même aimerait obtenir en plus… Je peux imaginer qu’il a plusieurs plans, ce qui soulève la question de savoir combien il aimerait voir se réaliser : reprendre les provinces les plus russifiées ? Reprendre l’est, y compris Kiev ? Reprendre l’Ukraine ? Encore plus ?

Deux leçons : 1. Certains traumatismes du passé entraînent facilement de nouveaux traumatismes… et la question est de savoir comment mettre fin à un tel cercle vicieux ; 2. bien que le christianisme soit majoritairement présent en Ukraine (et aussi en Russie), les institutions qui le structurent ne sont pas en mesure de donner la doctrine de la fraternité et de la pratique chrétiennes la priorité qu’elle mérite, sûrement pas vis-à-vis du Kremlin, de sorte qu’une lutte sanglante entre frères et sœurs n’ait aucune chance. Une triste histoire.

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