Qu’entend-on par « décoloniser » ?


Johan Leman, 2 juin 2025

Lors de la préparation d’une exposition prévue à l’automne sur « Bruxelles, la Congolaise », au musée MMM, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec plusieurs Congolais bruxellois, dont l’arrivée à Bruxelles remonte à différentes périodes, entre les années 1950 et 1985. En les écoutant, j’ai essayé de comprendre ce que signifie pour eux « être libéré de la colonisation ». Voici une première tentative de synthèse, ouverte au débat et sans prétendre avoir tout bien compris.

En parlant de ce que signifie être colonisé, j’ai entendu les éléments suivants :

  1. Se sentir colonisé ne peut pas être réduit au seul sentiment d’être discriminé, comme c’est souvent le cas pour des migrants perçus par certains habitants d’origine comme occupant un espace qui reviendrait aux habitants « de souche ».
  2. Se sentir colonisé est en partie lié à la conscience que des étrangers sont venus exploiter les ressources naturelles d’un pays qui n’était pas le leur, sans en avoir restitué la juste valeur — mais ce n’est pas seulement cela.
  3. Se sentir colonisé, c’est déjà plutôt être privé du droit de décider pour soi-même, d’avoir vu d’autres décider à votre place, y compris sur des questions qui, en tant qu’habitant autochtone, vous reviennent de droit.
  4. Se sentir colonisé, dans le cas belge en particulier, c’est surtout aussi avoir été confronté à la création d’un mythe par l’instance colonisatrice, un mythe dans lequel beaucoup de ces Belges se réservaient un statut supérieur, presque inaccessible, tout en inculquant à l’habitant autochtone l’idée que ce statut « blanc » était hors de portée. Et cela a été réellement cru, via l’enseignement (comme système, pas nécessairement par des individus), via les politiques d’habitat ségrégatives et l’emploi. On se sent profondément blessé, en tant qu’autochtone, lorsqu’on prend conscience que ce mythe était totalement infondé.

Décoloniser concerne donc surtout les points 3 et 4, qui sont eux-mêmes alourdis par les points 1 et 2. Je soupçonne qu’il y a encore beaucoup de choses qui m’échappent, mais ces éléments seuls montrent déjà combien de travail il nous reste à accomplir

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