Relation entre spéculateurs, investisseurs en Real Estate et autorités


Johan Leman, 12 septembre 2022

Le projet de la tour d’investissement de la place Sainctelette à Molenbeek est un bon exemple de la manière dont fonctionne la relation entre spéculateurs, investisseurs en Real Estate et autorités publiques dans des cas où on peut espérer que tout, du reste, se passe correctement.

Le spéculateur est une personne qui acquiert des terres et qui, après un certain temps, les échange contre de nouvelles terres qui, à ses yeux, auront une valeur plus élevée à long terme (vendre-acheter). Il pense à des investisseurs en Real Estate (soit lui-même ou des proches, ou des alliés) qui pourraient devenir des candidats à la construction d’un très grand projet sur son terrain qu’il vient d’acheter. La place Sainctelette, par exemple, était initialement  prévue dans les années 90 pour devenir le site d’un grand centre administratif. La construction de la salle de sport Amal a empêché cela, et il y avait aussi déjà tant d’administrations de ce côté-là que cela risquait de devenir trop. À partir de ce moment-là, une nouvelle idée a surgi : mettons-y une haute tour résidentielle pour de petits investisseurs en appartements et studios. Compte tenu de la valeur du terrain, il ne peut s’agir d’une simple tour de 6 étages, mais la tour doit comporter au moins 14 étages. 

Pour le promoteur, il s’agit alors de négocier au plus vite avec les autorités et de les convaincre de l’utilité d’une tour aux investissements aussi élevée. Une fois qu’il a réussi à convaincre les ministres concernés, les procédures sont lancées, les autorisations demandées et les règlements adaptés si nécessaire : exceptions sur la hauteur, et autres…. À un certain moment, les autorités, quelque fois des gens qui n’ont pas négocié l’affaire dans le passé, ne peuvent plus revenir en arrière, car elles se découvrent trop profondément engagées dans le projet et, en cas de rejet du projet, elles courent le risque de demandes de dommages et intérêts très élevées. Supposons qu’elles voudraient achter à leur tour le terrain, par exemple pour y planter des arbres au lieu d’une haute tour résidentielle, le prix d’achat est devenu trop élevé.

Tel est l’état actuel du débat autour de la Tour d’investissement sur la place Sainctelette. Je peux imaginer qu’il y a des gens au sein du gouvernement qui se rendent compte que cette tour d’investissement n’apporte rien à l’aspect esthétique et ne résout en rien le problème du logement à Bruxelles et, de plus, qu’à la lumière du changement climatique, il n’est pas souhaitable que cette tour d’investissement soit construite. Mais le problème pour un tel ministre devient alors : jusqu’à quel point la demande de dommages et intérêts peut-elle être élevée et quel est le prix du terrain concerné s’il doit l’acheter ?  Et puis on développe un raisonnement absurde : cette Tour d’investissement sera compensée par une soi-disant nouvelle zone verte… Concrètement, il s’agit d’un terrain en friche, qui est en réalité déjà une zone verte, mais pour une toute petite partie  inaccessible, et ce terrain est alors déclaré nouvelle zone verte compensatoire, ce qu’il n’est en réalité pas, puisqu’il était déjà là. Donc, tout sauf du neuf.

C’est ce que je veux dire quand j’écris que ce sont les spéculateurs et le Real Estate qui déterminent en grande partie la politique d’urbanisation le long du canal à Bruxelles.

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