Émotion, politique et société civile


Johan Leman, 14 mai 2022

À la fin de son livre de 1962, La galaxie Gutenberg, Marshall McLuhan prédisait que, dans un avenir très proche, les nouvelles technologies supplanteraient l’imprimé et la culture qui en découle. Le son et les images en mouvement vont définir le nouveau monde. Il a prédit un monde qui deviendrait un “village global”, dans lequel “le médium deviendra le message” et “le changement deviendra le destin de l’homme”. Comme c’est souvent le cas avec les prédictions scientifiques, elles se réalisent en partie (“le médium deviendra le message”, “le changement est le destin de l’homme”) et en partie non (le monde en tant que “village global”… enfin, un “village” dans lequel il y a beaucoup de lignes de faille). McLuhan a également prédit autre chose, à savoir que la rationalité était typique de l’ère du mot imprimé, mais que l’émotion définirait complètement le nouveau monde. L’émotion repousse la profondeur et la logique, qui n’occupent plus le premier plan.

Cela m’est revenu à l’esprit lorsque j’ai entendais récemment que le salut des partis politiques consistait à mettre de grands communicateurs aux commandes, ou encore… qu’un politicien qui ne fait pas emballer son message aujourd’hui, de préférence avec une émotion instantanée, a peu de chances de percer, et encore moins d’être invité dans un studio de télévision. Toute personne qui examine les faits doit conclure que c’est vrai.

Mais si cela est vrai, cela signifie que la profondeur et la rationalité dans  la société devront de plus en plus être trouvées ailleurs. Ce ne sera pas dans les religions, car par définition elles aussi se mobilisent largement par l’émotion. Il reste donc l’administration et la société civile organisée. Et oui, je ne peux pas oublier la science… C’est probablement l’une des plus grandes tâches de la société civile contemporaine que de survivre, de maintenir son dynamisme, de rester elle-même et de garantir une masse critique au sein d’une émo-société qui promeut le “changement” comme “le destin de l’homme” et comme bonheur suprême.

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